Le Square Enix Collective, qui a pour vocation de soutenir des projets développés en comité restreint et avec un budget loin des AAA dont on nous abreuve régulièrement, accueille un nouveau pensionnaire. Il s'agit de Tokyo Dark, projet en gestation depuis plusieurs années et souvent essayé avec bonheur sur les salons publics. Un jeu qui a piqué notre intérêt depuis longtemps, ne serait-ce que pour son ambiance et son cadre, et que nous avons lancé la peur au ventre.
Ayami Ito n'est pas dans son assiette. Son partenaire, Kazuki Tanaka, n'a plus donné signe de vie depuis quelques jours. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ? Si les deux jeunes gens n'étaient pas inspecteurs de la Police de Tokyo et spécialisés dans les cas morbides, on se dirait qu'il est juste parti chercher des clopes et qu'elle s'inquiète pour rien. Mais non. Il y a quelque chose de louche. Le fait que le téléphone portable du disparu se soit rallumé d'un coup, dans un coin sordide de Shinjuku, et qu'Ito ait des terribles visions liées à une affaire traumatisante qui l'a laissée sur le carreau de nombreuses semaines laisse supposer que ça craint du boudin.
Ambiance de la frousse
Les premières minutes posent parfaitement l'ambiance de Tokyo Dark. On le sait dès que l'on commence à incarner la policière à l'imper jaune de ce visual novel tristement francophobe (anglais ou nippon uniquement) aux allures de point and click 2D : l'aspect malsain et un peu gore qui se révèle immédiatement ne va pas s'estomper. Au contraire. Durant son enquête, qui la voit arpenter différents quartiers de la capitale nippone (plutôt bien détaillés) à la recherche d'indices et de témoins importants pour comprendre les tenants et aboutissants de la situation qui lui fait légèrement perdre la boule, Ito ne se sentira jamais en paix. En dépit de son allure d'anime coloré, qui n'hésite pas à taper dans le kawaii à coups de chatons et de serveuses de bars toutes mignonnes, le jeu de Cherrymochi n'a rien d'un conte pour enfants. Les sons, entre musiques dissonantes et grésillements intenses, ainsi que l'image, parfois brouillée, cassée et qui ne lésine ni sur le sang ni sur quelques jumpscares à base d'apparitions inattendues, s'associent à merveille à une histoire au fond pour le moins dérangeant, où certains personnages - certains pas forcément bien dessinés - ne vous laisseront pas indifférents... Qui est Reina, la mystérieuse fille aux cheveux rouges qui hante littéralement l'héroïne ? D'où vient-elle ? Que veut-elle ? Comment la stopper sans devenir maboule ? Et puis d'abord, qui dit qu'Ito n'est pas en train de fantasmer ?
Masque et un club
Cette Reina va vite devenir une obsession souris en main. Et pour arriver à vos fins, il va falloir composer avec certaines choses. A commencer par le surprenant SPIN. Sous cet acronyme qui fait tourner la tête, quatre caractéristiques qui vont influer sur le bon déroulement des événements. La Santé mentale, le Professionnalisme, l'Investigation et la Névrose. La première citée, qui augmente en oubliant de prendre ses calmants et en notant certaines choses pas très catholiques peut vous faire perdre le fil. La deuxième montre que vous suivez les règles édictées par votre corps de métier, la troisième que vous avez de quoi avancer correctement et la dernière que vous avez besoin d'un pot de glace pour accompagner votre position foetale.
Les variations entre ces quatre facteurs seront à surveiller de près, selon vos choix. A chaque instant, ou presque, vous devrez décider de la façon de résoudre une énigme ou garder une discussion à votre avantage. Par exemple, à vous de voir si vous prenez vos pilules ou non, sachant que cela vous calmera mais brouillera votre perception - Carrie Mathison est passée par là. Vous pourrez aussi choisir d'ignorer des pièces à conviction un peu trop sanguinolentes pour vous préserver. Sans oublier qu'afin de convaincre quelqu'un de vous filer un coup de main, il y aura souvent la manière forte (intimidation ou violence), directe, à portée mais mal vue, ou quelque chose de plus subtil, nécessitant souvent un déplacement et un poil de recherche dans un endroit qu'on pensait avoir déjà retourné. Attention cependant, si le dénouement ne vous convient pas, pas question de revenir en arrière. Une sauvegarde automatique se charge vous faire laisser vivre avec vos "erreurs", quand bien même, hormis dans quelques cas précis, il n'y a pas de bonne ou mauvaise décision.
Ito mama tambien
De fait, au bout d'environ cinq heures qui vous feront naviguer - avec un peu trop d'allers-retours dans les mêmes lieux - dans un Tokyo glauque, où s'entremêlent des affaires de harcèlement pas très reluisantes, des problèmes de flics, des emmerdes de Yakuza et des histoires paranormales, voire horrifiques, à faire grincer des genoux, vous aurez peut-être le sentiment de n'avoir pas tout vu, pas tout compris et, surtout, de ne pas avoir conduit l'aventure comme vous le souhaitiez. Fort heureusement, à la façon d'un NieR Automata, le déroulé des crédits ne marque pas la fin. Un New Game + interviendra pour permettre de nouvelles approches, avec plusieurs blocs de sauvegardes - Dieu soit loué - se débloquant. Le genre d'idée qui, malgré certaines redites, pousse clairement à creuser au coeur de cette meule de mystères bien grasse, suintant la folie. Et d'en apprendre davantage sur tout ce qui peut vous chiffonner en filant sans ronchonner vers la une grosse dizaine de dénouements prévue.